A quels changements provoqués par cette période extraordinaire faisons-nous face personnellement ?

par Eliana Da Silva, Gregory Dessart et Florine Oury
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Trois pistes de réponses de nos psychologues à cette question…

Grégory Dessart…

La situation actuelle de distanciation sociale et de semi-confinement a suscité une réorganisation plus ou moins majeure pour l’ensemble de la population. Nos habitudes ont été changées, et peut-être que nos nouvelles routines n’ont pas encore pris place. Nos rôles sociaux parfois s’entrecroisent, et certains sont peut-être en suspens. Naturellement, nous recherchons une forme d’équilibre, que ceci soit réfléchi ou non.

Construction de sens (« meaning making »)

Nous réagissons différemment à ces changements et réaménagements. Aussi, chaque cas de figure est particulier, avec ses qualités propres. Ceci peut venir perturber notre représentation du monde, et la manière dont nous y amenons du sens.

Il y a une facette dite « locale », c’est-à-dire que ces changements interfèrent avec certaines croyances que l’on pouvait avoir. Par exemple, la situation actuelle est perçue comme un ensemble de changements temporaires avant un retour à la normale. Cette façon de voir ne challenge pas outre mesure nos représentations du monde.

Ensuite, il y a une facette dite « globale », pour laquelle nos représentations fondamentales du monde, de notre vie sont challengées. Par exemple, celles-ci peuvent concerner notre système familial, avec des rôles que nous percevons comme à tout jamais changés, ou le fait de faire face au deuil de personnes proches. Nous pouvons ressentir que nous avons perdu tout espoir en l’avenir, et que « ce ne sera plus jamais comme avant ». La situation ici a des implications plus profondes sur notre système de croyances. Lorsque c’est cette facette globale de notre vision du monde qui est ébranlée, nous avons souvent un besoin accru d’aide, que celle-ci viennent de professionnel-les ou autres.

Réponse dominante

Durant cette période, j’entends beaucoup que des personnes voient leurs « vieux démons », leurs vieux scripts ressurgir à la surface. Ceux-ci peuvent être, par exemple, la tendance à ruminer, des conduites auto-dommageables, la consommation immodérée d’alcool, vérifier compulsivement ce qu’on vient de faire, etc. Il pourrait être important d’identifier leur impact, à court terme... et à long terme ! Par exemple, cela peut faire diminuer très brièvement une angoisse, mais causer une tristesse et un sentiment d’isolement qui perdurent à mesure que nous posons ces conduites. Il peut être utile de repérer les conduites qui ne nous conviennent pas, mais que nous avons de la peine à changer, et tenter d’identifier leur fonction : qu’est-ce que cela provoque sur le moment ? quelle forme de satisfaction ? qu’est-ce qui a précédé ? quand et en présence de qui ?

Normaliser

Il ne s’agit pas nécessairement d’un « retour en arrière ». Ces conduites représentent une forme d’adaptation que nous avons développée en réponse à des événements dans le passé. Ce sont probablement des réponses dominantes face à l’altérité, au stress, à la frustration, etc. Elles sont adaptées, jusqu’à un certain point... mais nous causent, au final, souffrance. Nous pouvons les voir comme des indicateurs d’où notre corps nous emmène, et une opportunité pour développer des alternatives et agrandir notre répertoire de réponses possibles.

Pour conclure

Nous cherchons souvent à donner du sens aux événements qui surviennent, et c’est bien normal. Dans cette construction de sens, nous recherchons un équilibre. Les réponses les plus évidentes sont nos réponses dominantes, et celles-ci impliquent parfois nos « vieux démons », remplissant une fonction face à ce qui nous arrive. Ils sont une occasion pour nous de continuer à mieux nous connaître et à étendre nos possibilités d’action.

Florine Oury…

L’incertitude

Nous sommes dans une situation dite « extraordinaire » qui, par définition, n’a rien de normal. Les changements ont été très brutaux et se sont imposés sans que l’on puisse vraiment chacun donner son avis, et sans même vraiment bien comprendre pourquoi de tels changements semblaient nécessaires. S’ensuit alors un climat d’incertitude assez général auquel il peut être difficile de faire face, et ce pour plusieurs raisons :

  • On sait qu’en temps normal mettre en place un changement – encore plus quand il est radical – prend beaucoup de temps et déclenche une forte résistance au changement chez les personnes, qui peinent à l’intégrer.
  • Personne n’a été préparé à un tel degré d’incertitude, cette impression de ne plus avoir le contrôle sur ce qu’il se passe dans nos vies peut être difficile à accepter, et c’est très anxiogène. Certaines personnes ressentent par exemple ce confinement comme un séjour en prison, elles ont cette peur de la privation des libertés - de leur liberté personnelle - qui est omniprésente.

Chacun réagit différemment. Ainsi, alors que certaines personnes vont accepter cette situation, se plier au changement sans trop de difficulté, d’autres vont se sentir contrariés, et résistants à l’opinion générale. Ces deux ressentis sont opposés et extrêmes et se placent comme les pôles d’un continuum, continuum sur lequel chacun va se positionner différemment, selon les jours, selon les heures, selon les dernières informations qu’ils auront perçues comme essentielles.

Incertitude

Résistance <----------------> Acceptation

Ce qu’il est important de comprendre dans cette explication, ce n’est pas les oppositions mais plutôt que toutes les réactions sont légitimes ! De par cette forte incertitude finalement, personne ne peut dire « moi je sais », personne ne réussit à rassurer tout le monde, et d’ailleurs les différentes informations provenant du monde entier sont tellement contradictoires qu’il est difficile de se positionner clairement.

Cette période est aussi propice à la re-centration. De plus en plus de témoignage sur la toile tente d’axer positivement ce break imposé : les gens se redécouvrent, prennent enfin le temps qu’ils ne prenaient plus depuis des années, ils apprécient en quelque sorte cette routine « cassée » temporairement et se fixent sur des choses plus essentielles à chacun.

Là où l’incertitude semble avoir le plus gros impact peut être sur les personnes auparavant fragiles, ou encore chez les soignants : ils ne savent pas s’ils sont bien protégés, ils manquent de matériel, ils manquent d’informations, les consignes sont changeantes - il n’y a pas du tout de visibilité à plus d’un jour.

La difficulté à se projeter est donc un point essentiel, la gestion d’un tel degré d’incertitude peut être difficile pour certaines personnes : les différentes peurs – peur d’être malade, peur de mourir, peur de perdre un proche, peur du confinement – empêchent l’être humain que nous sommes d’envisager notre futur sereinement, et déclenchent beaucoup d’anxiété anticipatoire. Les gens sont anxieux vis-à-vis du futur. Leurs pensées sont essentiellement centrées vers un futur potentiellement menaçant. On n’a pas été préparé à ça et il est normal que certains se sentent désarmés. Il faut alors essayer de stopper ces pensées négatives pour éviter qu’elles ne s’installent trop durablement, en se refocalisant sur ce qu’on était en train de faire par exemple et en se rappelant que tout cela n’est que temporaire.

Eliana Da Silva…

Confinés seul, en couple ou en famille, la situation actuelle amène des changements pour tout le monde. « Si le confinement est une protection physique, il peut être vécu comme une agression psychique » (Boris Cyrulnik).

Par ces quelques lignes j'aimerais aborder deux notions afin de définir les difficultés et les changements provoqués par cette période extraordinaire de confinement : intimité et appartenances. J'ai eu le plaisir d'assister à la Web-conférence « Les défis du confinement », animée par R. Neuburger et j'aimerais partager son point de vue qui illustre bien les plus grands changements que je vis actuellement en temps de confinement. En effet, pour ma part, le plus difficile a été de me réinventer dans le temps et dans l'espace avec mari et enfants et de m'adapter au nouveau rythme que le confinement nous amène.

Intimité

L'intimité est un droit et c'est disposer d'un territoire dont nous sommes le gérant, où personne n’accède sans notre autorisation. Encore, « disposer d'un territoire d'intimité est ce qui donne consistance au sentiment d'exister d'un groupe, d'une famille, d'un individu ». En temps de confinement les territoires deviennent limités et la revendication d'espace est un problème surtout lorsqu'on vit confinés dans un appartement et en famille. L'intimité devient donc le grand facteur des difficultés du confinement et la proximité est un danger potentiel pouvant amener différents types de violences (violence entre enfants, violence entre couples, violence entre enfants/ados-parents). Le danger des violences en temps de confinement est qu'il n'y a aucun regard extérieur sur ce qui se passe à l'intérieur. Dès lors, l'intervention d'un tiers est fondamentale – loi, institution ou simplement un membre de famille extérieur à l'institution familiale, un ami ou un voisin bienveillant.

Pour ce qui est de l'intimité individuelle, un coin ou parfois un tiroir sont suffisants lorsqu'on n'a pas la chance d'avoir une maison et offrir la possibilité à chaque membre de la famille d'avoir une pièce qu'il gérera à son gré. Face aux nouveaux changements, nous devons (ré)apprendre à co-habiter et attendre de ce moment de confinement pour refaire connaissance avec soi, en famille, entre partenaires, entre fratrie et entre parents et enfants... Installez des nouvelles méthodes de communication, de nouveaux rituels, apprenez à relativiser le temps et prenez du temps pour vous...

Appartenance

En temps de confinement, les appartenances deviennent limitées et les liens sociaux sont attaqués. Dès lors, quelles autres appartenances, quels autres liens puis-je m'attribuer en dehors de ceux avec ma famille, de mon couple ? Se connecter davantage et faire partie d'un groupe de sport, de lecture, de musique, un coup de fil à un ami... sont des activités qui donnent de la consistance à notre sentiment d'exister et qui sont complémentaires à l'appartenance familiale.

Propositions pour bien vivre le confinement…

  • Se nourrir intellectuellement et pratiquer du sport sont des formes de lutte contre l'ennui et les angoisses. On peut le faire en ligne, seul ou en groupe. Lisez un livre et partagez vos ressentis avec un ami ou en ligne afin que les autres bénéficient de votre connaissance. Soyez créatifs, nous avons tous des dons, des forces et des capacités.
  • Rythme et planification: manger et dormir à des heures régulières, c'est le protocole que notre Fédération propose et que j'applique dans mon quotidien, m'aidant à m'orienter dans le temps et l'espace.
  • Pour ce qui est de l'appartenance familiale, afin de renforcer son identité et prévenir les violences intra-familiales, R. Neuburger propose des réunions de famille où chaque membre donne son avis, son opinion et où la famille agit en tant que membre d'un groupe. Cela invite chacun à s'identifier et à renforcer son sentiment d'appartenance familiale où les gens s'entraident.

Et vous, quelle est votre force et qu'avez-vous appris en temps de confinement ?

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